Mais où est donc passé le monde d’après?

En mars dernier, alors que nous découvrions nos nouvelles existences de confinés, sidérés, un espoir a commencé à germer: préparer le monde d’après. Reprise en boucle jusqu’à l’overdose, l’expression m’a irrité : les effets de mode m’agacent toujours. Surtout, je l’ai trouvée injuste: sous l’emprise du traumatisme sanitaire, elle en oubliait que bien des crises antérieures posaient la question de l’avenir, elles aussi.

Neuf mois plus tard, que se passe-t-il? Sur le plan économique, on met les activités d’avant sous perfusion, à l’image des malades, et chaque corporation y va de ses difficultés, de ses plaintes, de ses revendications. Sur le plan politique, on retrouve les bons vieux clivages droite/gauche, et la tentation des extrêmes.Sur le plan individuel, on a envie d’emplettes, d’agapes, de magie, de fêter Noël,de s’éclater au 1er de l’an, et on peste de ne pas pouvoir partir aux sports d’hiver(vous imaginez en 1939, «ils font chier ces boches, on peut même plus aller se faire une bonne poudreuse!»). Tout ceci s’explique, se comprend, bien sûr: nous sommes en souffrance, et cette souffrance dure sans que nous y voyions un terme. Mais où est-il passé, le monde d’après ?

 

Décembre 2004, un tsunami ravage les côtes en Asie du sud-est. Face à la catastrophe, les consciences et les bonnes volontés se mobilisent, les dons affluent. Pendant quelques semaines, les medias ne s’intéressent plus à rien d’autre sur la planète puis l’horreur, maintes fois visionnée, commentée, décortiquée, finit par se banaliser et les citoyens partent chercher ailleurs de quoi satisfaire leur joie de vivre, leur appétit de nouveauté. Le monde finit par exister à nouveau, malgré les 220 000 morts officiels (en réalité bien davantage).

Quelques mois plus tard, la Birmanie entre dans l’arène et le monde s’émeut du sort de ses pauvres moines, victimes de la junte militaire. Nous devenons Birmans, nous nous indignons, puis la solidarité finit par s’essouffler à nouveau. Tant pis pour les Birmans, au moins aurons-nous été au courant.

Puis à l’approche des jeux olympiques de Pékin, cette fois nous devenons Tibétains. Ceux-ci ne connaîtront pas un mouvement de compassion plus durable que leurs frères Birmans, ni parmi les puissants (on ne va quand même pas se mettre à dos les Chinois!), ni parmi l’opinion publique. Tant pis pour les Tibétains, au moins aurons-nous parlé des droits de l’homme, l’honneur est sauf.

Janvier 2010, six ans après le tsunami asiatique, Haïti nous rappelle à quel point la nature peut être meurtrière : plus de 280 000 morts, toujours selon les chiffres officiels. Là encore les bonnes volontés se mobilisent, mais l’émoi collectif ne résistera pas au temps.

Quelques mois plus tard, une vague gigantesque déferle dans la majorité des pays Arabes, humaine celle-là. L’Occident s’en réjouit, manifeste sa sympathie et, grisé par de beaux élans oubliant la dure réalité des peuples, réaffirme sa foi quelque peu naïve en la démocratie. L’enthousiasme durera peu, l’espace seulement d’un printemps.

Janvier 2015, alors que quelques dessins viennent de déchaîner la haine dans des esprits fragiles en mal de vengeance, nous devenons Charlie et le scandons haut et fort, puis retournons à nos vies ordinaires. De temps à autre, nous recyclerons le slogan sous la pression de l’actualité, et aurons l’impression de rester un peu fidèles à nous-mêmes.

Novembre 2015, encore sous le choc des attentats au Bataclan et au stade deFrance, nous applaudissons les forces de l’ordre, les remercions, les aimons. Cinq ans plus tard, nous les détestons, et cédons à l’ivresse des approximations et des amalgames pour les jeter en pâture à l’ire médiatique.

 

Cette inconstance parle de nous: nous sommes constitués ainsi. Certains lui trouveront des circonstances atténuantes, il s’agissait de drames lointains (hormis les derniers), et affirmeront que cela ne se passera pas ainsi avec la pandémie : accablant notre quotidien, notre travail, nos relations aux autres, nos vies dans ce qu’elles ont de plus concret, de plus intime, elle va nous marquer pour longtemps, au fer rouge. Certes, mais va-t-elle pour autant provoquer un élan plus durable que nos élans passés?

Le monde d’avant, c’est celui de l’émotion immédiate et parfois dégoulinante, des belles déclarations, des bonnes consciences, du zapping et de l’oubli. Construire le monde d’après, c’est s’atteler à tout ça, pas seulement aux sujets désormais installés dans le débat public, le dérèglement climatique, l’écologie, l’emploi, les inégalités sociales, et maintenant la santé. Plutôt que porter les combats hors de nous, sommes-nous prêts à nous remettre en cause, nous, dans notre essence même ?

Lors de mes missions traitant des transformations d’organisations, j’entends souvent la question : peut-on faire évoluer les organisations sans évoluer soi-même? Je suis convaincu que non, pour la raison qu’évoquait Albert Einstein: «On ne peut pas résoudre un problème avec le même niveau de pensée que celle qui l’a créé». Construire le monde d’après, c’est aussi et surtout inventer l’humain d’après.

Ce dont le monde d’après a besoin, ce sont des émotions de meilleure qualité, des aptitudes à se remettre en cause, des convictions qui ne font pas la girouette, de la suite dans les idées. Et du courage aussi : celui d’entrer en résistance contre les dictatures auxquelles nous nous sommes habitués, auxquelles nous consentons, y compris le courage de déplaire.

 

Si ces pistes vous intéressent, je les développerai dans un prochain post. Si vous n’êtes pas d’accord, ouvrons le débat !

 

 


dictatures auxquelles nous nous sommes habitués, auxquelles nous consentons, ycompris le courage de déplaire.Si ces pistes vous intéressent, je les développerai dans un prochain post. Si vousn’êtes pas d’accord, ouvrons le débat!

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